SYNOPSIS DE LA BANDE DESSINEE REPORTAGE « Ados au royaume des réseaux » – voir ici
PAR Alexia EYCHENNE, journaliste
Accueillie au Collège Bellevue et au Lycée Bellevue
Dans la classe de 4e d’un collège du Tarn, au cours d’une heure consacrée aux pratiques culturelles et à la formation citoyenne des adolescents, deux profs s’adressent à la salle : « Qui n’est pas sur un réseau social ? » Seuls trois doigts se lèvent au fond de la classe sur une trentaine d’élèves. Lecture, théâtre, musée, cinéma, concerts, médias, jeux vidéo… Jusque là, le groupe avait listé une dizaine de pratiques. Aucune ne semblait un dénominateur commun capable de souder leur génération, au-delà des barrières de genre ou de milieu social. Jusqu’aux réseaux sociaux.
En France, la quasi totalité des 12-17 ans (92%) possèderait un smartphone, selon un sondage BVA réalisé en octobre 2018 auprès de 1100 adolescents. 78% d’entre eux disposent d’au moins un compte sur les réseaux sociaux : Snapchat (62%) est suivi par Facebook (53%) puis Instagram (50%). D’autres leur disputent l’attention des collégiens et lycéens. TikTok, Discord, Twitch… Mastodontes aux centaines de millions d’abonnés dans le monde ou comètes vite chassées par d’autres.
Les réseaux sociaux s’inscrivent au croisement des pratiques professionnelles et amateurs. Chacun y est à la fois spectateur et possible producteur. Regarder des photos ou des vidéos, les monter, les détourner, les parodier. Écouter des chansons, les partager. Lire, s’informer, afficher ses goûts, débattre, discuter, proclamer ses émotions. L’éventail des usages est quasi infini. Parce qu’ils sont dématérialisés, cachés dans les téléphones eux-mêmes planqués au fond des cartables, ils échappent aux regards adultes, aux enseignants comme aux parents.
Les adolescents y définissent des règles de conduite, y inventent une langue (« lâcher des vues »), élaborent des critères esthétiques (« Sur TikTok, certains font des montages, c’est ça qui rend les vidéos mieux travaillées »), hiérarchisent les pratiques en vogue et les ringardes (« Facebook ? Y’a ma grand-mère dessus… ») en autonomie. C’est Sa majesté des mouches, îlot paradisiaque et sauvage où les enfants sont rois, transposé à l’ère virtuelle… À un âge où l’on se construit tout en expérimentant la citoyenneté, cette liberté induit des chances et des risques. Elle crée des espaces de responsabilité. Pierre et Lucas ont créé les groupes « Insta » de leur classe. Les ados apprennent aussi l’autorégulation, procèdent par essais et erreurs. « Avant de poster une photo ou une vidéo, je les montre à mes parents, comme ça je sais si ça coince ou pas », promet Anaïs.
Les réseaux sont aussi un espace public d’information et de prise de parole, où façonner ses goûts et opinions. On y « met ses humeurs », dit Natacha, on « rigole », on encourage « la bonne ambiance ». Les ados jouent avec leur identité, s’inventent des pseudos, ajoutent à leurs selfies des filtres qui les travestissent. On s’y regroupe par tribus selon ses passions. Dans une période de recherche d’attention, on y teste sa popularité à l’aune des « likes », des « coms », des « vues ». Les réseaux sociaux ont un effet démultiplicateur. Au point qu’Emma, une « fille normale », est devenue « célèbre » à force de faire des « TikTok de qualité », « des trucs stylés » (« Elle était au self et j’ai vu des gens lui demander des autographes »). D’autres refusent de jouer ce jeu ou se détachent de ces usages avec l’âge pour évoluer vers des pratiques plus personnelles et affirmées.
Il y a aussi tout ce dont les ados parlent peu spontanément. L’établissement scolaire n’est pas épargné par le cyber-harcèlement. Elias, l’un des rares « déconnectés », juge que les réseaux « incitent à la critique ». Et si l’accès quasi généralisé aux smartphones semble abolir les frontières de classes qui fragmentent les autres pratiques culturelles, est-ce si vrai que l’on vit les réseaux de la même façon selon son milieu familial, son âge, son genre ? Et comment continuer à faire groupe, à vivre ensemble, avec ceux qui, par choix ou par interdiction familiale, « n’y sont pas » ?
Quelle est enfin la place des adultes dans tout ça ? Qu’il s’agisse des parents, de l’école, des institutions, comment peuvent-ils s’y insérer, tenter des passerelles avec leurs pratiques culturelles et celles qu’ils souhaitent encourager ? Les ados sont-ils prêts à leur ouvrir les portes de ce monde ? Le récit suit quatre élèves de collège et de lycée qui nous guident dans ces pratiques culturelles et sociales qu’ils inventent, comprennent et maîtrisent.